Hôpital et marche à pied

Une douzaine d’heures après cette balade, Paul sera hospitalisé
A dozen hours after this walk, Paul will be hospitalized

Je vais à l’hôpital à pied : je l’ai déjà fait deux fois, quatre kilomètres, ça fait du bien. Je quitte mon squat, avec, la première fois, une feuille sur laquelle j’ai décalqué un plan rudimentaire sur l’écran de l’ordinateur. Je n’ai toujours pas de smartphone, la vie est bien plus aventureuse comme ça !
I go walking to the hospital: I’ve already done it twice, four kilometers, it feels good. I leave my squat, with, for the first time, a sheet of paper on which I have traced a rudimentary plan on the computer screen. I still don’t have a smartphone, life is much more adventurous that way!

Je marche le long du tram sur l’avenue Berthelot, puis sur le boulevard Jean XXIII. Si je me sentais trop fatiguée, je n’aurai qu’à monter dans la première rame qui passera à portée… Mais tout va bien, marcher est très agréable.
Arrivée à l’immense carrefour de Granges Blanches (l’hôpital Édouart Herriot, après avoir dépassé le Centre Léon Bérard, centre de lutte contre le cancer, ça y est, me voici dans le quartier d’innombrables hôpitaux), la difficulté est de trouver la rue Trarieux. Mon plan peu détaillé ne me précise pas que je dois la rejoindre via la rue du professeur Florence, mais j’ai bien noté que je dois continuer pratiquement tout droit dans le prolongement du boulevard. Je la rejoins sans difficulté.
I walk along the tram on Avenue Berthelot, then on Boulevard Jean XXIII. If I felt too tired, I would just have to get on the first train that comes within reach… But everything is fine, walking is very pleasant.
Arriving at the huge crossroads of Granges Blanches (the Édouart Herriot hospital, after having passed the Center Léon Bérard, center for the fight against cancer, that’s it, here I am in the district of countless hospitals), the difficulty is to find rue Trarieux. My sketchy plan does not tell me that I have to reach it via rue du Professor Florence, but I have noted that I have to continue almost straight along the extension of the boulevard. I join it without difficulty.

La rue Trarieux se termine par une montée un peu raide, mais j’ai tout mon temps : un matin, à huit heures et demie, un médecin pète-sec m’a signifié que les visites, c’est à partir de midi, c’est non négociable. Dommage pour Paul, mais j’y vois maintenant un avantage, j’ai plus de temps pour me préparer… Et je prends le temps de marcher…
Après avoir traversé un quartier tranquille, la rue Trarieux se jette dans le boulevard Pinel comme un affluent dans le fleuve.
Rue Trarieux ends with a somewhat steep climb, but I have plenty of time: one morning, at half-past eight, a petty doctor told me that visits are from noon, it is non-negotiable. Too bad for Paul, but I now see an advantage, I have more time to prepare… And I take the time to walk…
After passing through a quiet neighborhood, Rue Trarieux flows into Boulevard Pinel like a tributary to the river.

Une photo de Bernadette, lors de sa visite précédente. Plus tard, nous avons identifié la belle plante qui s’est mise à pousser à une vitesse incroyable : un paulownia !
A photo of Bernadette, during her previous visit. Later, we identified the beautiful plant that began to grow incredibly quickly: a paulownia!

Je vois bientôt ma destination, le bâtiment neurologique. Je passe devant la rue où j’ai garé la voiture, gratuitement. Ici, le parking d’hôpital coûte très cher mais l’argent ne va ni à l’hôpital ni au personnel, alors j’évite d’enrichir Vinci ou son équivalent.
Je vous dois une explication : le plus souvent je dors une nuit sur deux à Lyon, une nuit sur deux chez nous, pour éviter les déplacements. Mais il me faut passer à la maison, ne pas la déserter, continuer à l’habiter.
Lolo a rentré les plantes qui craignent le gel, à moi de les arroser. Je pourrais demander à Lolo de le faire, bien sûr, mais il me faut continuer à laisser mon empreinte ici, à y habiter dans ce contexte différent, sans Paul.
I soon see my destination, the neurological building. I pass in front of the street where I parked the car, for free. Here, hospital parking is very expensive but the money goes neither to the hospital nor to the staff, so I avoid enriching Vinci or its equivalent.
I owe you an explanation: most often I sleeps every other night in Lyon, every other night at home, to avoid traveling. But I must go home, not desert it, continue to live there.
Lolo brought in the plants that fear frost, it’s up to me to water them. I could ask Lolo to do it, of course, but I have to continue to leave my mark here, to live there in this different context, without Paul.

 

Et un dessin posté par Bernadette !
And a drawing posted by Bernadette!

This antidepressant works best
if you take it with a glass of water,
on a hammock, in the West Indies.

Non, je n’oublie pas de vous parler de Paul (qui va mieux, qui va mieux, qui va mieux) mais je dois prendre soin de moi, et voilà pourquoi je tente cette page de « littérature » sans prétention.
J’ai besoin d’écrire, de mettre des mots bien agencés, de les choisir, de les placer au bon endroit. Les mots me ressourcent.
No, I don’t forget to tell you about Paul (who’s better, who’s better, who’s better) but I have to take care of myself, and that’s why I’m trying this page of unpretentious « literature ».
I need to write, to put words well arranged, to choose them, to place them in the right place. Words recharge my batteries.

Quand je vais à l’hôpital en voiture, je suis chargée comme une mule !
When I go to the hospital by car, I’m loaded like a mule!

Annabelle enseigne le yoga. Elle est venue avec Arnaud pour une visite, Paul était fatigué, il dort mal, il ne rêve plus que de partir ailleurs…
Elle s’est mise à lui parler tout doucement, et ses mots, rien que ses mots, ont eu un effet extraordinaire : nous avons vu Paul se détendre, retrouver sa sérénité, une respiration lente et confortable.
Plus tard, elle a envoyé un enregistrement vocal qu’elle a fait pour Paul, une séance de relaxation qui a le même effet – bon, elle est en arrêt à cause d’un pied cassé, alors elle a le temps dit-elle.
Annabelle teaches yoga. She came with Arnaud for a visit, Paul was tired, he doesn’t sleep well, he only dreams of going somewhere else…
She began to speak to him very gently, and her words, just her words, had an extraordinary effect: we saw Paul relax, regain his serenity, breathing slowly and comfortably.
Later, she sent a voice recording she made for Paul, a relaxation session that has the same effect – well, she’s off work with a broken foot, so she has time, she says.

Des Annabelle, il y en a tant autour de nous ! Des gens généreux sur lesquels on peut s’appuyer. Je les remercie tous ici, encore une fois, je n’aurai jamais fini de les remercier.
There are so many Annabelles around us! Generous people you can rely on. I thank them all here, once again, I will never finish thanking them.

Un soir, au moment de partir de l’hôpital, je reçois un appel de Aude dont la fille a peut-être le covid. Hors de question d’aller dormir chez elle dans ces conditions ! Le temps d’arriver à l’arrêt de tram (le soir, pas envie de marcher) Séb m’a trouvé une solution de remplacement : je vais chez Élisabetta, plus loin à Villeurbanne, et ça me prend un moment. Mais je suis reçue comme une princesse – je n’oublierai jamais le risotto aux champignons et le pavé de saumon ! – et je passe une soirée d’autant plus plaisante qu’elle a été improvisée.
One evening, as I was leaving the hospital, I received a call from Aude whose daughter may have covid. There is no question of going to sleep at her house in these conditions! By the time I got to the tram stop (in the evening, I don’t want to walk) Séb found me an alternative solution: I went to Élisabetta’s, further away in Villeurbanne, and it took me a while. But I was received like a princess – I will never forget the mushroom risotto and the salmon steak! – and I have an evening that is all the more pleasant because it was improvised.

Test négatif, je peux retourner chez Aude !
Negative test, I can return to Aude!

On se sent devenir fous, Paul et moi, quand, par exemple, on demande le bassin, et qu’il se passe vingt minutes avant de l’obtenir. C’est le moment de « la relève », occasion de vives discussions et de grands éclats de rire qui arrivent jusqu’à nous, puis des « au revoir » qui n’en finissent pas : le staff a besoin de ces moments pour décompresser, les conditions de travail sont trop dures.
We feel like we’re going crazy, Paul and I, when, for example, we ask for the bedpan, and it takes twenty minutes before we get it. It’s the moment of « handover », occasion for lively discussions and great bursts of laughter that reach us, then « goodbyes » which never end: the staff needs these moments to decompress , the working conditions are too harsh.

Alors on a décidé de demander l’hospitalisation à domicile : un lit de libre pour l’hôpital, et pour moi la fin des trajets longuement préparés – j’apporte quoi, vêtements, nourriture…? Les infirmières à qui nous en avons parlé samedi nous ont écoutés avec attention, pas défavorables au projet. Lundi, la question sera débattue par les médecins.
So we decided to request hospitalization at home: a free bed for the hospital, and for me the end of long-prepared journeys – what should I bring, clothes, food…? The nurses to whom we spoke about it on Saturday listened to us attentively, and were not unfavorable to the project. On Monday, the question will be debated by doctors.

Comment expliquer les progrès de Paul ? J’ai réussi moi-même à le faire passer du fauteuil au lit, ce qui lui demande de se tenir debout un instant. Quand il retrouve une commande, toute la force est là. L’orthophoniste ne viendra plus, Paul parle comme avant.
How can we explain Paul’s progress? I myself managed to get him from the chair to the bed, which requires him to stand up for a moment. When he finds a command, all the strength is there. The speech therapist will no longer come, Paul speaks as before.

Bernadette, encore !
One fool can hide another

Mais le tapage nocturne inévitable, les attentes interminables malgré la bonne volonté de tous, c’est épuisant. On attend la suite avec une impatience fébrile. L’aventure de Paul ne fait que commencer, à nous d’écrire une belle page…
But the inevitable nighttime noise, the endless waits despite everyone’s good will, it’s exhausting. We await what follows with feverish impatience. Paul’s adventure has only just begun, it’s up to us to write a beautiful page…

Minute stop limited to one hour

Ça va mieux — It’s better

Mon message précédent a causé une commotion ! Je suis heureuse de vous annoncer que Paul va mieux.
Certains d’entre vous ont déjà reçu l’information, excusez-moi – mais ce n’est pas grave !
My previous post caused a commotion! I am happy to tell you that Paul is doing better.
Some of you have already received the information, excuse me – but that’s okay!

Sans arrêt, partout sur la planète, il y a des gens qui meurent. Certains sont en excellente santé, mais un accident est si vite arrivé : sans faire une obsession de notre disparition inévitable un jour, rappelons-nous que la vie est belle, que c’est un cadeau merveilleux, qu’il faut en jouir sans nous la pourrir – ou bien sans laisser les autres nous la pourrir.
People are dying all over the world all the time. Some are in excellent health, but an accident happens so quickly: without obsessing about our inevitable disappearance one day, let us remember that life is beautiful, that it is a wonderful gift, that we must enjoy it without ourselves rot it – or without letting others rot it for us.

Vous m’avez fait parvenir vos messages pleins d’amour, ils m’ont donné tant d’énergie ! Comme la planète serait belle si nous étions tous en mode fraternité, partage, écoute !
You sent me your messages full of love, they gave me so much energy! How beautiful the planet would be if we were all in fraternity, sharing, listening mode!

Mauvaise nouvelle — Bad news

Certains de mes lecteurs le savent déjà : Paul est malade. En soirée vendredi, il a commencé à avoir des vertiges, des nausées, des maux de tête : il faisait un AVC. Il est hospitalisé, au moment où je vous écris le pire semble écarté mais il est encore trop tôt pour en être certain.
Some of my readers already know: Paul is sick. In the evening on Friday, he started to feel dizzy, nauseated, headaches: he was having a stroke. He is hospitalized, as I write to you the worst seems to have passed but it is still too early to be certain.

Ces quelques mots sont d’une violence extrême pour vous, je le savais déjà, je le lis dans les messages de sympathie que je reçois. Ils me disent que vous aimez Paul puisque cet accident vous dévaste, et que vous aimez sa petite famille.
These few words are extremely violent for you, I already knew that, I read it in the messages of sympathy that I receive. They tell me that you love Paul since this accident devastates you, and that you love his little family.

Autour de moi tout le monde s’ingénie à nous aider : Nanath m’a conduite plusieurs fois à l’hôpital : le samedi, comme je n’avais pratiquement pas dormi, c’était prudent. Séb qui avait prévu d’arriver le 25 a anticipé son voyage et nous sommes heureux comme tout de l’avoir à nos côtés.
Everyone around me tried hard to help us: Nanath took me to the hospital several times: on Saturday, as I had barely slept, it was prudent. Séb, who had planned to arrive on the 25th, anticipated his trip and we are as happy as anything to have him by our side.

Paul est dans un hôpital spécialisé, sous surveillance constante, machines et personnel. Ils savent qu’ils peuvent m’appeler à toute heure du jour et de la nuit : tout ce qui peut être fait est fait. On répond à nos questions.
Paul is in a specialized hospital, under constant surveillance, machines and staff. They know they can call me at any time of the day or night: whatever can be done is done. They answer our questions.

Dans ces conditions, mon blog se met en arrêt, pour le moins longtemps possible j’espère. J’ai reçu des tonnes de messages, ça réchauffe le cœur. Autour de nous, tout le monde essaie de nous aider, je peux taper à n’importe quelle porte.
Under these conditions, my blog is shutting down, for as short a time as possible I hope. I received tons of messages, it warms my heart. Everyone around us is trying to help us, I can knock on any door.

Si vous souhaitez m’écrire, par commentaire ou par courriel, n’hésitez pas, tous les messages me font plaisir. Mais peut-être ne trouverez-vous pas les mots, ce n’est pas grave.
If you would like to write to me, by comment or by email, do not hesitate, all messages make me happy. But maybe you won’t find the words, that’s okay.

Une page d’histoire(s)

Mes connaissances en histoire, c’est un peu comme un grand vide dans lequel flottent ici et là quelques événements. Autant dire que l’histoire de l’Italie, plus précisément de la Vénétie, plus précisément des Sept Communes, tout cela n’est pas à ma portée.
Mais je me suis passionnée pour ces « Sette Comuni », une fédération vieille de plusieurs siècles, regroupement de communes dont Asiago était le chef-lieu. On y parlait le cimbre, certains le parlent encore, on y vivait pauvrement en pratiquant une forme de communisme.
(…) les ancêtres avaient fondé là une communauté autonome, une civilisation basée sur une économie rurale. – Le vin de la vie
My knowledge of history is a bit like a big void in which a few events float here and there. Suffice to say that the history of Italy, more precisely of Veneto, more precisely of the Seven Communes, all of this is not within my reach.
But I became passionate about these « Sette Comuni », a centuries-old federation, a group of municipalities of which Asiago was the capital. Cimbri was spoken there, some still speak it, and people lived there poorly while practicing a form of communism.
(…) the ancestors had founded an autonomous community there, a civilization based on a rural economy. – Le vin de la vie

ignorance abyssale — abysmal ignorance

Avant la première guerre mondiale, la frontière entre le Royaume d’Italie et l’Empire austro-hongrois se trouvait tout près d’Asiago : entre 1915 et 1918, les combats y ont fait rage, on parle de 1,5 million de bombes lancées sur cette région, qui n’est pas immense. Un million d’hommes s’y sont battus, et cent mille de ces combattants sont morts. Asiago a été entièrement détruite : tu rentrais chez toi, ta maison avait été bombardée et tout le reste autour aussi.
Before the First World War, the border between the Kingdom of Italy and the Austro-Hungarian Empire was located very close to Asiago: between 1915 and 1918, the fighting raged there, there were 1.5 million bombs launched in this region, which is not huge. A million men fought there, and a hundred thousand of these fighters died. Asiago was completely destroyed: you came home, your house had been bombed and everything else around it too.

Photo sur un mur dans une rue d’Asiago
Photo on a wall in a street in Asiago

Au cours de cette guerre, en 1916, Emilio Lussu, arrivant sur « l’Altipiano » pour combattre, croise ce qu’il nomme « le convoi de la douleur » : ce sont tous les habitants des Sept Communes fuyant l’ennemi. « Les paysans éloignés de leur terre étaient comme des naufragés. » Plus tard, Lussu racontera « un an sur l’Altipiano » connu aussi sous le titre « les hommes contre », récit dont Francesco Rosi a tiré le film éponyme. Mario Rigoni Stern a dit beaucoup de bien du livre, montrant moins d’enthousiasme pour le film.
During this war, in 1916, Emilio Lussu, arriving on the « Altipiano » to fight, encounters what he calls « the convoy of pain »: these are all the inhabitants of the Seven Communes fleeing the enemy. « Peasants removed from their land were like shipwrecked people. » Later, Lussu will tell « A Year on the Altipiano », « un an sur l’Altipiano » also known as « The Men Against », « les hommes contre », a story from which Francesco Rosi made the eponymous film. Mario Rigoni Stern spoke highly of the book, showing less enthusiasm for the film.

Asiago

Emilio Lussu n’est ni pacifiste, ni antimilitariste, mais de nombreuses pages de son livre dénoncent l’absurdité criminelle de la guerre, les fanfaronnades non moins criminelles des gradés. La traductrice du livre, Emmanuelle Genevois, parle à propos de la guerre, dans une postface, de ce « théâtre de l’incompétence, parfois de la lâcheté de chefs criminels, et le jugement de Lussu est sévère et sans ambiguïtés. »

« Il [Lussu] raconte la vie des soldats italiens dans les tranchées et décrit l’irrationnel, le non-sens de la guerre et la discipline militaire. » — Wikipédia

Emilio Lussu is neither pacifist nor antimilitarist, but many pages of his book denounce the criminal absurdity of war, the no less criminal boasting of the officers. The translator of the book, Emmanuelle Genevois, speaks about the war, in an afterword, about this « theater of incompetence, sometimes of the cowardice of criminal leaders, and Lussu’s judgment is severe and unambiguous. »

« He [Lussu] tells the story of the life of Italian soldiers in the trenches and describes the irrational, the meaninglessness of war and military discipline. » — Wikipedia

Zoom sur un fort de cette époque vu depuis Levico Terme
Zoom on a fort from this era seen from Levico Terme

Le nom de Cadorna revient à plusieurs reprises dans « les hommes contre ». Wikipédia nous dit que Cadorna, maréchal d’Italie, réorganisa l’armée royale d’Italie à la veille de la première guerre mondiale, et en fut le chef d’état major pendant les 30 premiers mois. Il avait un pouvoir immense. « Sous sa direction, l’armée italienne a massivement recours aux pelotons d’exécution et aux décimations des soldats qui souhaitent la fin de la guerre. Il serait à l’origine de 750 condamnations et 270 exécutions sommaires. »
Dans son livre, Emilio Lussu attribue à Ottolenghi ces paroles : « Nos ennemis naturels, ce sont nos généraux. Si, dans les parages, se trouvait le général Cadorna, ce serait notre ennemi principal et il ne s’agirait que de le repérer. »
Cadorna’s name comes up several times in « The Men Against » Wikipedia tells us that Cadorna, Marshal of Italy, reorganized the Royal Italian Army on the eve of the First World War, and was its chief of staff for the first 30 months. He had immense power. « Under his leadership, the Italian army massively resorted to firing squads and decimations of soldiers who wanted an end to the war. He is said to be behind 750 convictions and 270 summary executions. »
In his book, Emilio Lussu attributes these words to Ottolenghi: « Our natural enemies are our generals. If General Cadorna were nearby, he would be our main enemy and we would just have to locate him. »

En 2011, en Sardaigne, à Orgosolo, Paul et moi sommes passés par la rue Cadorna : Orgosolo est une ville de « murales », de peintures murales. Je n’avais pas la place pour faire une photo d’ensemble.
Voici un commentaire édifiant sur ce chef de guerre, sur sa responsabilité :
In 2011, in Sardinia, in Orgosolo, Paul and I passed through Cadorna Street: Orgosolo is a town of “murals”, of wall paintings. I didn’t have the space to take an overall photo.
Here is an edifying comment on this war leader, on his responsibility:

« Cadorna est fils de chien, il en a fait tuer tant et tant et il n’en souffre pas, alors que nous en souffrons. 571 000 soldats italiens sont morts, 451 645 sont invalides et mutilés, 117 000 disparus… 210 000 soldats furent fusillés et condamnés parce qu’ils voulaient mettre fin à la guerre. »
« Cadorna is the son of a dog, he has had so many killed and he doesn’t suffer from it, while we do. 571,000 Italian soldiers died, 451,645 were disabled and mutilated, 117,000 missing… 210,000 soldiers were shot and condemned because they wanted to end the war. »

Asiago est maintenant une fort jolie ville, très touristique, éloignée de la frontière puisque le redécoupage de celle-ci en 1918 la fait passer maintenant bien plus au nord (malheur aux vaincus !).
Mario Rigoni Stern y est né en 1921 : la vie y était déjà difficile avant le conflit, et la guerre a laissé son lot de ruines. Une nouvelle économie de la misère s’y développe : on récupère le métal des douilles des balles et des obus pour le vendre. Bien sûr les obus peuvent exploser et de nouveaux noms viennent grossir encore l’interminable liste des morts.
Asiago is now a very pretty town, very touristy, far from the border since the redistribution of the latter in 1918 now takes it much further north (woe to the vanquished!).
Mario Rigoni Stern was born there in 1921: life there was already difficult before the conflict, and the war left its share of ruins. A new poverty economy is developing there: metal from bullet and shell casings is recovered to sell it. Of course the shells can explode and new names add to the endless list of dead.

Mario y connaît une enfance pauvre mais heureuse, même s’il lui arrive, en jouant dans les tranchées, de découvrir des restes humains. Souvent dehors, en contact avec la nature, c’est tout naturellement qu’il devient chasseur alpin.
Mario had a poor but happy childhood there, even if he happened to discover human remains while playing in the trenches. Often outdoors, in contact with nature, it is quite natural that he becomes an alpine hunter.

En direction du Mont Zebio
Towards Mount Zebio

Il n’a pas dix-huit ans au début du deuxième conflit mondial, il est sergent, et il passe des années à combattre. Gravement traumatisé par ce qu’il a vécu, l’intensité des combats, la mort de ses camarades, la faim, le froid, revenu dans des conditions extrêmement difficiles, il décide d’écrire plutôt que d’oublier, faisant une démarche comparable à celle de son ami Primo Levi. Mario aussi dénonce l’horreur de la guerre. De fasciste, il est devenu pacifiste. « Le sergent dans la neige », son premier livre, connaît un grand succès.
He was not eighteen years old at the start of the Second World War, he was a sergeant, and he spent years fighting. Seriously traumatized by what he experienced, the intensity of the fighting, the death of his comrades, the hunger, the cold, returning to extremely difficult conditions, he decided to write rather than forget, taking a comparable approach to that of his friend Primo Levi. Mario also denounces the horror of war. From a fascist, he became a pacifist. « Le sergent dans la neige », « The Sergeant in the Snow, » his first book, was a great success.

Mussolini a fait construire l’ossuaire très (trop) visible à Asiago.
« Si les 50 000 Italiens et Austro-Hongrois qui sont là-dedans pouvaient sortir et dire ce qu’ils pensent, beaucoup d’idées reçues seraient renversées ! La vérité n’est assurément pas faite de coups de clairon et de drapeaux qui claquent au vent. »
— Mario Rigoni Stern « Le Courage de dire non »

Mussolini had the very (too) visible ossuary built in Asiago.
« If the 50,000 Italians and Austro-Hungarians who are in there could come out and say what they think, a lot of preconceived ideas would be overturned! The truth is certainly not made up of bugles and flags flapping in the wind. »
— Mario Rigoni Stern « Le Courage de dire non », « The Courage to Say No »

C’est par Mario Rigoni Stern que nous avons découvert ce lieu où il a passé toute sa vie et où il est mort en 2008. Cet homme s’est toujours proclamé « narrateur » et pas « écrivain », trouvant dans les témoignages qu’il a écrits assez de matière sans avoir à inventer des romans.
It was through Mario Rigoni Stern that we discovered this place where he spent his entire life and where he died in 2008. This man has always proclaimed himself a « narrator » and not a « writer », finding in the testimonies he has write enough material without having to invent novels.

Tu traverses Asiago, tu contournes le petit aérodrome et la petite route commence à monter : c’est là que tu trouves la maison que Mario a construite.
You cross Asiago, you go around the small airfield and the small road starts to go up: this is where you find the house that Mario built.

Avant d’aller à Asiago, j’avais lu « le sergent dans la neige », puis « Altipiano, cheminer avec Mario Rigoni Stern » du photographe Loïc Seron. Ainsi Paul et moi nous nous sommes préparés à aller rendre visite à Mario Rigoni Stern, cet homme remarquable, comme on irait saluer un ami, visite qui s’est terminée sur sa modeste tombe.
Before going to Asiago, I had read « le sergent dans la neige », « The Sergeant in the Snow », then « Altipiano, cheminer avec Mario Rigoni Stern », « Altipiano, walking with Mario Rigoni Stern » by photographer Loïc Seron. So Paul and I prepared to go and visit Mario Rigoni Stern, this remarkable man, as we would go to greet a friend, a visit which ended at his modest grave.

« laghetto » de Lumera

Ce jour-là, je garde avec moi le livre de Loïc Seron, et nous nous dirigeons après notre pique-nique vers le « laghetto » de Lumera afin d’y faire une pause lecture. C’est amusant de feuilleter le livre de Loïc Seron, venu rencontrer Mario Rigoni Stern avant sa mort, revenu ensuite photographier ces magnifiques paysages. Mais c’est une autre surprise pour nous quand nous trouvons dans le livre le cliché que je viens de prendre moi-même ! Loïc Seron a marché dans les pas de l’écrivain, pas d’erreur, et à notre tour nous suivons le même cheminement !
That day, I kept Loïc Seron’s book with me, and after our picnic we headed to the « laghetto » of Lumera to take a reading break. It’s fun to leaf through the book by Loïc Seron, who came to meet Mario Rigoni Stern before his death, then returned to photograph these magnificent landscapes. But it’s another surprise for us when we find in the book the photo that I just took myself! Loïc Seron followed in the footsteps of the writer, no mistake, and in our turn we are following the same path!

Avant — Before
Après — After

J’ai été très émue par nos excursions à Asiago. Et de marcher sur les pas d’Emilio, de Mario et de Loïc… Et le récit de notre voyage n’est toujours pas terminé !
I was very moved by our excursions to Asiago. And to follow in the footsteps of Emilio, Mario and Loïc… And the story of our journey is still not over!

Bibliographie Bibliography

Emilio Lussu
« les hommes contre »

Mario Rigoni Stern
« Le vin de la vie »
« Le sergent dans la neige »
« Le Courage de dire non »

Loïc Seron
« Altipiano, cheminer avec Mario Rigoni Stern »




In Italia sempre più lontano

Plutôt que de commenter l’actualité, je vous incite vivement à lire sur le blog de Mona Chollet un point de vue fort intéressant car elle évite le piège de l’émotion pure.
Elle voit dans une indifférence largement partagée « les effets de longues années de déshumanisation et de diabolisation des musulman-es. »
Nous devons nous rappeler que la majorité des gens, quelle que soit leur nationalité, ne souhaite pas que l’on se massacre. Les peuples ne sont pas responsables des conflits mais payent le prix fort.

Ça fait du bien d’échapper à la pensée unique !
Rather than commenting on current events, I strongly encourage you to read a very interesting point of view on Mona Chollet’s blog because she avoids the trap of pure emotion.
She sees in a widely shared indifference « the effects of long years of dehumanization and demonization of Muslims. »
We must remember that the majority of people, regardless of their nationality, do not want to see massacres. The people are not responsible for the conflicts but pay the high price.

It feels good to escape from single-minded thinking!
LIEN — LINK
https://www.la-meridienne.info/Sortir-de-l-enfer

La semaine dernière, j’ai conclu ma publication avec la photo du couchant sur le lac d’Iseo vu depuis la fenêtre à Sulzano ; j’ai beaucoup hésité et j’ai rajouté encore une flopée de photos. Après avoir encore hésité, j’ai pris une bonne paire de gros ciseaux et critch cratch, j’ai coupé tout ça : j’aime bien publier au plus près de l’événement, mais il y a beaucoup à raconter, alors ça prend du temps, je dois m’y faire. Ce serait gâcher de rédiger des pages interminables… pour en finir plus vite.
Last week I concluded my publication with the photo of the sunset over Lake Iseo seen from the window in Sulzano; I hesitated a lot and added a bunch of photos. After some more hesitation, I took a good pair of big scissors and critch cratch, I cut it all off: I like to publish as close as possible to the event, but there is a lot to tell, so it takes time, I have to get used to it. It would be a waste to write endless pages… just to get it over with faster.

D’ailleurs, pendant ce voyage, nous ressentons une certaine saturation, presque de la fatigue, à force de voir de nouveaux paysages, d’avoir de nouvelles impressions. À Pise, il y a très longtemps, nous sommes allés voir la célèbre tour et la cathédrale au milieu des appareils photos et des touristes souvent japonais, puis nous avons arpenté la vieille ville calme et belle, presque déserte, nous avons marché au long de l’Arno et nous n’avons plus vu que peu de touristes. Et nous les avons plaints, un peu, les pressés, ceux qui ratent ces quartiers remarquables.
Mais s’ils avaient investi ces lieux, la magie en aurait disparu.
Après tout, ce voyage est constitué de sauts de puce, environ deux cents kilomètres à chaque fois, trois nuits à Bussoleno, autant à Castelletto sopra Ticino, quatre à Sulzano, jusqu’à notre arrivée à Levico Terme, j’y arriverai. Et en vous faisant partager la longueur de cette approche, je vous fais peut-être mieux partager nos impressions.
Moreover, during this trip, we feel a certain saturation, almost fatigue, from seeing new landscapes, from having new impressions. In Pise, a very long time ago, we went to see the famous tower and the cathedral in the middle of the cameras and tourists who were often Japanese, then we wandered around the calm and beautiful old town, almost deserted, we walked along the Arno and we saw very few tourists. And we pitied them, a little, those in a hurry, those who miss these remarkable neighborhoods.
But if they had taken over these places, the magic would have disappeared.
After all, this trip is made up of small hops, about two hundred kilometers each time, three nights in Bussoleno, as many in Castelletto sopra Ticino, four in Sulzano, until we arrive in Levico Terme, I will tell you about it. And by sharing with you the length of this approach, I am perhaps sharing our impressions with you better.

Au lendemain de notre grimpette sur Monte Isola, Paul trouve une balade intéressante, plutôt à plat. Le départ n’est pas facile à trouver, en réalité nous ne le trouvons pas, et finalement, c’est jusqu’au sanctuaire de Santa Maria del Giogo que nous marchons, avec encore une fois un dénivelé, plus raisonnable.
Avec vue, photos ci-dessus, sur un grand village (une petite ville) qui s’étire au loin sur les pentes d’une vallée, puis sur le lac d’Iseo.
Un chasseur alpin monte la garde, je parlerai encore des chasseurs alpins…
Nous avons laissé la voiture à quelques kilomètres, mais certains viennent jusqu’ici avec leur véhicule. Le nôtre ne passerait pas, trop près du sol…
The day after our climb on Monte Isola, Paul found an interesting walk, rather flat. The start is not easy to find, in reality we do not find it, and finally, it is to the sanctuary of Santa Maria del Giogo that we walk, with once again a more reasonable difference in altitude.
With a view, photos above, of a large village (a small town) stretching into the distance on the slopes of a valley, then onto Lake Iseo.
An Alpine hunter stands guard, I will talk again about Alpine hunters…
We left the car a few kilometers away, but some come here with their vehicle. Ours wouldn’t pass, too close to the ground…

Le dernier kilomètre est en sens unique et soumis à une étrange priorité : tous les quarts d’heure, soit on passe, soit on ne passe pas, puisqu’il est impossible de se croiser. À huit heures tu peux monter, à huit heures et quart tu peux descendre, et ainsi de suite.
The last kilometer is one-way and subject to a strange priority: every quarter of an hour, you either pass or you don’t, since it is impossible to pass each other. At eight o’clock you can go up, at a quarter past eight you can go down, and so on.

Avant de quitter Sulzano, avec cette fois vue sur le Monte Isola mais pas au soleil couchant, et l’île Saint-Paul qui n’est plus « emballée » par Christo, nous partons cette fois explorer les « torbiere del Sebino » tout au long d’un joli chemin bien aménagé.
Before leaving Sulzano, this time with a view of Monte Isola but not at sunset, and the island of Saint-Paul which is no longer « wraped » by Christo, this time we set off to explore the « torbiere del Sebino » all the way to along a pretty, well laid out path.

Sulzano
Île Saint-Paul
Tourbières — Bogs

Voici une jolie collection d’arbres, dans une propriété privée à laquelle nous n’avons pas accès. Ceux qui vivent là sont peut-être envahis par les moustiques, mais le cadre est superbe.
Here is a lovely collection of trees, on private property to which we do not have access. Those who live there may be invaded by mosquitoes, but the setting is superb.

Mangé par un arbre
Eaten by a tree

Un jeune lapin sans expérience attend tranquillement que je fasse la photo.
A young, inexperienced rabbit waits quietly for me to take the photo.

Un dernier tour en bateau tout autour de Monte Isola
One last boat ride around Monte Isola

Il n’est pas facile de circuler dans ces régions montagneuses, les viaducs sont abondants, et nous comptons vingt longs tunnels pendant les quarante premiers kilomètres de notre nouvelle étape !
It is not easy to travel in these mountainous regions, viaducts are abundant, and we have twenty long tunnels during the first forty kilometers of our new stage!

Nous voilà à Levico Terme, notre « camp de base » pendant une semaine. De là nous commencerons par nous rendre à Asiago sur les traces de Mario Rigoni Stern, l’écrivain disparu.
Here we are at Levico Terme, our « base camp » for a week. From there we will start by going to Asiago in the footsteps of Mario Rigoni Stern, the deceased writer.