Sous la pluie


J’ai toujours été rebelle. Petite déjà, je n’étais pas très obéissante. Mon attirance pour la liberté et l’autonomie n’a pas changé. Quand j’ai découvert l’anarchie, j’ai été viscéralement attirée par cette plus grande expression de l’ordre. Pour moi il s’agit de cette liberté qui s’arrête où s’arrête celle des autres.

I have always been rebellious. As a child, I was not very obedient. My attraction to freedom and autonomy has not changed. When I discovered anarchy, I was viscerally drawn to this greater expression of order. For me it’s about this freedom that stops where the freedom of others stops.

« Plus grande expression de l’ordre » car s’il n’y a pas un pouvoir au-dessus de nous pour nous contrôler… eh bien c’est à chacun de nous de contrôler si ce que nous faisons est favorable ou pas à l’émergence d’une société harmonieuse. Je rêve d’un monde où chacun est respectueux des autres, de lui-même, et aussi bien entendu de l’environnement.
« Greater expression of order » because if there is not a power above us to control us … well it is up to each of us to control whether what we do is favorable or not to the emergence of a harmonious society. I dream of a world where everyone is respectful of others, of themselves, and of course of the environment.

Je ne suis pas sensible à la hiérarchie : je respecte une personne parce que je la trouve digne de respect, à cause sans doute de ses qualités humaines, mais certainement pas parce qu’elle occupe un rang élevé dans la société. Je n’ai pas besoin que des personnes « supérieures » à moi gèrent une existence que je suis tout à fait capable de gérer.
I am not sensitive to hierarchy: I respect a person because, for me, he’s worthy of respect, probably because of his human qualities, but certainly not because he occupies a high rank in society. I don’t need people « superior » to me to manage an existence that I am fully capable of managing.

Si je respecte la loi comme Brassens qui ne voulait pas perdre du temps en contrôles policiers, c’est aussi une attitude consentie : je ne vais pas mettre la vie des gens en danger en ne respectant pas le code de la route. Mais ce n’est pas par peur du képi.
If I respect the law like Brassens who did not want to waste time in police checks, it is also an agreed attitude: I am not going to put the lives of people in danger by not respecting the traffic rules. But it’s not out of fear of the cap.

Quand j’ai découvert la bande à Bonnot, dans un livre qui relatait seulement les faits (essentiellement des braquages de banque), j’ai eu du mal à comprendre pourquoi Jules Bonnot se proclamait anarchiste. Maintenant je sais qu’il y a des partisans de la violence, ce qui a permis de donner au terme « anarchie » le sens de « désordre ». Je ne peux pas être d’accord avec Jules Bonnot, mais je le comprends. Après tout j’éprouve les mêmes colères que lui quand je vois les conditions de vie de certains.
When I discovered « la bande à Bonnot », in a book that only told the facts (mostly bank robberies), I had a hard time understanding why Jules Bonnot proclaimed himself anarchist. Now I know that there are supporters of violence, which has made it possible to give the term « anarchy » the meaning of « disorder ». I can’t agree with Jules Bonnot, but I understand him. After all, I experience the same anger as him when I see the living conditions of some.

Octave Garnier de « la bande à Bonnot » a écrit ceci :
« Réfléchissons. Nos femmes et nos enfants s’entassent dans des galetas, tandis que des milliers de villas restent vides. Nous bâtissons les palais et nous vivons dans des chaumières. Ouvrier, développe ta vie, ton intelligence et ta force. Tu es un mouton : les sergots sont des chiens et les bourgeois sont des bergers. Notre sang paie le luxe des riches. Notre ennemi, c’est notre maître. Vive l’anarchie. »
Octave Garnier who was a part of « la bande à Bonnot » wrote this:
« Let’s think. Our wives and children are crammed into attics, while thousands of villas remain empty. We build palaces and we live in thatched cottages. Worker, develop your life, your intelligence and your strength. You are a sheep: the sergots are dogs and the bourgeois are shepherds. Our blood pays for the luxury of the rich. Our enemy is our master. Long live anarchy. »
« sergot » (argot — slang) => sergent, agent de ville — sergeant, city agent

Aujourd’hui encore, j’ai tendance à adopter des idées de manière affective, sans réflexion préalable, parce qu’elles m’interpellent tout simplement. Dans ces conditions, je ne peux pas toujours les étayer par de solides arguments. Mais si à défaut de les faire adopter par d’autres je souhaite les partager, il me faut dépasser le stade affectif !
Even today, I tend to adopt ideas in an emotional way, without prior thought, because they simply appeal to me. Under these conditions, I cannot always support them with solid arguments. But if impossible to have them adopted by others, I want to share them, I must go beyond the emotional stage!

Les notions de solidarité, autonomie, liberté sont faciles à défendre, ne demandant pas de justification – même si en creusant, les définitions que chacun en donne peuvent différer sensiblement.
The notions of solidarity, autonomy, freedom are easy to defend, asking for no justification – even if by digging, the definitions that each one gives can differ appreciably.

En revanche vouloir abolir le pouvoir ne fait pas l’unanimité. Quand on voit où nous mène un système soi-disant « démocratique » – un enrichissement indécent des plus riches avec mise en danger de la vie sur la planète, tandis que beaucoup de démunis se battent sans espoir – on rêve d’un vrai changement, mais de là à préconiser l’anarchie, le pas est difficile à faire.
However, wanting to abolish power is not unanimous. When we see where a so-called « democratic » system is leading us – an indecent enrichment of the richest with endangering life on the planet, while many destitute fight hopelessly – we dream of a real change, but from there to advocate anarchy, the approach is difficult to do.

La semaine dernière, j’évoquais « Murray Bookchin — l’écologie sociale et libertaire » de Vincent Gerber et Floréal Romero. Il y est dit que la croissance infinie est impossible dans un monde fini. Que la démocratie est trop inféodée aux groupes économiques : « Il ne peut y avoir de changement écologique sans une reprise en main de la société par la base. »
Last week, I mentioned « Murray Bookchin — l’écologie sociale et libertaire » by Vincent Gerber and Floréal Romero. It says that infinite growth is impossible in a finite world. That democracy is too subservient to economic groups: « There can be no ecological change without taking control of society from the bottom up. »

Si l’être humain cause des déséquilibres à la nature, il en est de même dans la structure même de la société précisent les auteurs. « Les déséquilibres qu’il a provoqués dans le monde naturel résultent de ceux qu’il a provoqués dans la société. »
If humans cause imbalances in nature, it is the same in the very structure of society, the authors say. « The imbalances that he has caused in the natural world are the result of those that he has caused in society. »

Partout on parle de déshumanisation, j’aime beaucoup comment Gerber et Romero abordent ce problème et notre permanent besoin de lien social sans oublier de donner du sens à nos vies :
Everywhere we talk about dehumanization, I really like how Gerber and Romero approach this problem and our permanent need for social link without forgetting to give meaning to our lives:

« L’être humain est ainsi toujours plus dépersonnalisé, car toujours mis en concurrence, atomisé, coupé des liens avec son prochain, donc de lui-même et de son individualité, et toujours plus construit et modelé selon la volonté du marché. Pour Bookchin, il est urgent de réhumaniser la société et par conséquent chacun de nous, de façon à reprendre à notre compte “l’être-au-monde-ensemble” qui se manifeste dans tout ce qui relève du don, d’une existence riche et significative, en empathie avec l’autre autant qu’avec l’environnement. Il s’agit de reprendre conscience du besoin de donner sens et valeur à nos vies. » (…).
« The human being is therefore always more depersonalized, because he is always in competition, atomized, cut from links with his neighbor, therefore of himself and his individuality, and always more constructed and shaped according to the will of the market. For Bookchin, it is urgent to rehumanize society and therefore each of us, so as to take over our “being-in-the-world-together” which manifests itself in everything that comes from the gift, of a rich and meaningful existence, in empathy with the other as much as with the environment. It’s about regaining awareness of the need to give meaning and value to our lives. » (…).

Quelques lignes de blog ne suffisent pas à développer un tel sujet, je suis consciente d’une approche bien trop succincte, mais que voulez-vous… ces thèmes me passionnent et il en va de notre futur.
A few blog lines are not enough to develop such a subject, I am aware of an approach that is far too succinct, but what do you want … these topics fascinate me and so does our future.

Ces idées qui me sont chères ne sont pas celles de tout le monde : quand j’étais directrice d’école, je souhaitais partager ce rôle avec les collègues plutôt que de l’endosser. J’étais la seule à le souhaiter ! Ce n’est pas un très bon exemple car ce poste n’est pas si important, mais l’attitude des collègues m’a frappée. Il m’arrivait d’être la bonne interlocutrice vis-à-vis de ma hiérarchie ou de l’administration puisque j’étais directrice — je n’ai jamais pu m’y faire…!
These ideas I love are not those of everyone: when I was a school principal, I wanted to share this role with colleagues rather than take it on. I was the only one who wanted it! It is not a very good example because this position is not so important, but the attitude of colleagues surprised me a lot. Sometimes I was the right contact with my hierarchy or the administration since I was headmistress – I could never get used to it!

Une autre personne ne partage pas du tout mes idées.
Mon père aura 93 ans cette semaine. Il est raciste, xénophobe, et réactionnaire. Je trouve qu’il a du mérite et du courage à vivre comme il le fait, seul, presque aveugle. Mais en ce qui concerne ses opinions, je préférerais qu’il les garde pour lui. Il m’arrive de lui parler sincèrement de mes idées… une excellente façon de comprendre qu’une conviction, ça ne se partage pas comme ça.
Another person does not share my ideas at all.
My father will be 93 this week. He is racist, xenophobic, and reactionary. For me he has merit and courage to live as he does, alone, almost blind. But regarding his opinions, I would prefer that he keep them for himself. Sometimes I tell him sincerely about my ideas … a great way to understand that a belief cannot be shared like that.

Je vais parfois le voir, j’y suis allée quelques jours avant Noël et nous avons pu faire des balades près de chez lui : je connais cette chapelle depuis très longtemps, j’ai plaisir à la retrouver. Un autre jour, nous avons rencontré un homme qui connaissait papa. Et moi, j’avais connu le grand-père de cet homme ! J’aimais beaucoup Albert, si gentil, et je raconte à cet homme ma dernière rencontre avec son grand-père.

Sometimes I go to visit him, I went there a few days before Christmas and we were able to go for walks near his home: I have known this chapel for a very long time, I am pleased to see it again. Another day we met a man who knew Dad. And I had known this man’s grandfather! I really liked Albert, so nice, and I tell this man about my last meeting with his grandfather.

Ces rencontres fortuites me rattachent à tout un pan de mon existence. Albert n’est plus là, mais c’est bon de se souvenir. C’est bon de revenir marcher dans ces sentiers et de retrouver les sensations que je reconnais aussi loin que je me rappelle. Quand Paul me rejoint chez mon père, nous faisons une grande balade dans le beau village médiéval de Saint-Montan, j’avais publié des photos que vous pouvez retrouver en cliquant ici.
These chance encounters link me to a whole section of my existence. Albert is no longer there, but it is good to remember. It is good to come back to walk these paths and find the sensations that I recognize as far back as I can remember. When Paul joins me at my father’s, we are taking a long walk in the beautiful medieval village of Saint-Montan, I had published photos which you can find by clicking here.

En février, je suis retournée chez mon père : à cette occasion, j’ai passé une journée sous la bruine et dans le brouillard, dont j’avais vraiment perdu l’habitude dans le sud de l’Ardèche ! Ma sœur habite en pleine guarrigue, témoin de la vie sauvage, et elle me raconte ce qui évolue sous ses yeux. Bizarrement, alors que le département du Gard et les autres plus au sud subissent de fréquentes inondations, le sud de l’Ardèche manque de pluie depuis des années.
On February, I returned to my father’s house: on this occasion, I spent a day in the drizzle and in the fog, which I had really lost the habit in the south of the Ardèche! My sister lives in full guarrigue (scrubland ?), she’s witness of the wild life, and she tells me what evolves before her eyes. Oddly, while the Gard department and the others further south suffer frequent flooding, the south of the Ardèche has been lacking in rain for years.

J’ai ramené mon père chez nous, et après quelques jours je l’ai raccompagné chez lui : je crois qu’il aime bien prendre quelques vacances chez nous, où il n’a plus le souci des repas. Ni d’autres soucis.
I brought my father to our home, and after a few days I took him to his home: I think he likes to take a vacation with us, where he no longer cares about meals. No other worries.

Nous restons chacun sur des points de vue bien trop divergents. Et pourtant, nous avons bien quelques points en commun.
Toujours dans le livre autour de Bookchin, il est dit que la production pour la production génère la consommation pour la consommation, et mon père est tout aussi hostile au gaspillage que moi. Il est tout aussi favorable à la fabrication d’objets durables, réparables… Bookchin distingue les besoins réels (se nourrir, se loger…) des besoins artificiels (se procurer tout ce qui est à la mode…).
We each remain on far too divergent points of view. And yet, we do have a few things in common.
Also in the book around Bookchin, it says that production for production generates consumption for consumption, and my father is just as hostile to waste as I am. He is also favorable to the manufacture of durable, repairable objects … Bookchin distinguishes between real needs (food, shelter …) and artificial needs (getting everything in fashion …).

Je crois que mon père est encore d’accord quand je dis qu’il faut un changement politique radical, que nos dirigeants ne veulent pas réellement modifier les choses. Mais lui ne voit comme moyens de changement que la répression, la punition, l’interdiction.
I think my father still agrees when I say that we need a radical political change, that our leaders do not really want to change things. But he sees only as means of change repression, punishment, prohibition.

Un grand fossé nous sépare et je le regrette, mais j’en ai pris mon parti depuis longtemps.
There is a big gap between us and I regret it, but I have made up my mind for a long time.

Il pleut il pleut et il pleut. Je tiendrais certainement le même discours s’il faisait soleil…
François, tu nous fait rencontrer ton ami Vincent Gerber quand tu veux !
It’s raining it’s raining and it’s raining. I would certainly make the same speech if it was sunny …
François, you make us meet your friend Vincent Gerber when you want!

2 réflexions sur « Sous la pluie »

  1. Salut Caly, j’ai beaucoup aimé tes réflexions d’aujourd’hui. Je ressens et je pense comme toi. Et parfois la douleur du monde ça fait mal, et l’impuissance nous mord l’estomac. Mais il faut continuer, si nous ne nous décevons pas nous-et aux innocents qui viendront.
    Merci belle femme ! Bisous pour toi et pour Paul.

    Carmen

    • Salut Carmen et merci !

      Heureusement, beaucoup de gens ressentent et pensent comme toi et moi. Ça fait du bien de le savoir.

      Paul et moi t’embrassons très amicalement.

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