Kérala

J’ai passé avec Paul quatre semaines au Kérala en janvier et février. C’était notre premier voyage en Inde.
Je savais que nous serions surpris et très dépaysés, mais la surprise n’est pas toujours là où l’on croit.

I spent four weeks with Paul in Kerala in January and February. It was our first trip to India.
I knew we would be surprised and disoriented, but the surprise is not always where we think.

Nous n’étions pas tellement loin de l’Équateur (entre 8 et 12 degrés de latitude nord) : il fait jour pendant environ douze heures (de sept heures à sept heures), et il n’y a pas beaucoup de variation pendant l’année. Alors que c’était la même chose chez nous pendant cette période, je trouvais cela singulièrement oppressant, car j’imaginais que cette région ne connaît jamais nos interminables soirées où la nuit tombe à dix heures.
Mon corps “sait” que quand il fait très chaud, la nuit vient tard. Nous avions très chaud et pourtant la nuit venait comme en hiver…
We were not so far away from the equator (between 8 and 12 degrees north latitude): it is day for about twelve hours (from 7:00 to 7:00), and there is not much variation during the year. While it was the same in our country during this time, I felt this particularly oppressive because I imagined that this region never knows our endless evenings when night falls at ten pm.
My body « knows » that when it is very hot, the night comes later. It was very hot, yet night came like in winter.

Nous avons choisi le Kérala où il y a moins de misère que dans d’autres états de l’Inde. En arrivant, j’ai été effrayée par la saleté, les ordures qui brûlent le long des rues. Mais les gens sont très propres. Les femmes en particulier, ayant accès à plus de diversité, sont d’une élégance extrême, et je ne me lassais pas de les regarder.
Comme le dit Paul, ce n’est pas une “misère désespérée”. Le plus souvent les gens ont l’air heureux. Je ne peux pas me permettre de l’affirmer, la vie est très dure pour la majorité des gens. Mais peut-être ont-ils plus de raisons de lutter que chez nous, où j’ai l’impression que le pays sombre peu à peu.
We chose Kerala where there is less poverty than in other states of India. When we arrived, I was frightened by dirt, burning trash along the streets. But people are very clean. Women in particular, with access to more diversity, are extremely elegant, and I could look at them without never stop.
As Paul says, it is not a « hopeless misery. » Most often people look happy. I can’t confirm, life is very hard for most people. But maybe they have more reason to fight than here, where it seems that one drowns little by little.

Je ne sais pas ce qui m’a le plus surprise : peut-être la gentillesse des gens. Sans doute les Indiens aiment-ils plus les Français que les Anglais. Je pensais souvent à la colonisation, et quand nous avons découvert les plantations de thé à perte de vue, initiative anglaise, j’essayais d’imaginer la forêt originelle avant le déboisement. Cette mesure est à l’origine de paysages fantastiques, et aujourd’hui la cueillette du thé emploie des quantités de gens. Mais que serait le pays s’il n’était pas passé par l’étape de la colonisation ? La question reste posée, au Kérala comme ailleurs.


I do not know what surprised me the more: perhaps the friendliness of the people. Maybe Indians  like more French than English people. I often thought to colonization, and when we saw the infinite tea plantations, English initiative, I tried to imagine the original forest before deforestation. This measure is at the origin of fantastic landscapes and now picking tea employs lots of people. But what would the country be like without the period of colonization? The question remains, in Kerala and elsewhere.


Je parlais de la gentillesse des gens. Et j’ai souvent pensé à ma nièce Élisabeth, lorsqu’elle est revenue d’un séjour au Sénagal, où elle avait pris pour habitude de saluer tout le monde si elle rentrait dans un lieu public.
Au Sénagal, au Kérala et ailleurs, les gens sont ouverts, souriants. Sans doute que nous sommes trop fermés – nous, mais nous qui ? Les Français, les Occidentaux ?
J’ai beaucoup aimé l’échange de saluts cordiaux, qui va parfois jusqu’à la poignée de main, et qui va même jusqu’à la séance photo, laquelle peut durer des heures si on laisse faire.
C’est chaleureux, c’est sympathique. Les gens étaient heureux de nous dire bonjour, souvent avec chaleur, parfois avec une fougue ravie.
I was talking about the kindness of the people. And I have often thought of my niece Elizabeth, when she returned from a stay at Senegal, where she had made a habit of greeting everyone if she came into a public place.
In Senegal, in Kerala and elsewhere, people are open, smiling. No doubt we are too closed – “we”, but who? The French, Westerners?
I enjoyed to exchange cordial greetings, with sometimes handshake, and even the photo shoot, which can last for hours if you let them.
It’s warm, it’s friendly. People were happy to say hello, often with warmth, sometimes with a happy impetuousness.

Dans ce contexte, le poids de la hiérarchie est devenu d’autant plus désagréable : nous avons voyagé plusieurs jours avec le même chauffeur, un homme plein de gentillesse, attentionné. Mais il n’avait pas les mêmes droits que nous, par exemple il ne rentrait jamais dans nos lieux d’hébergement. Et moi, “je suis si affadi après la liberté, que, qui me défendrait l’accès de quelque coin des Indes, j’en vivrais aucunement plus mal à mon aise.” Montaigne “Don’t worry” m’a dit Sumesh, le chauffeur, quand j’ai compris que le plus souvent il dort dans la voiture. Je n’étais pas en souci, j’étais dans une grande colère.
Chez moi rentre qui veut ! En recevant des helpers comme nous le faisons, nous hébergeons des gens qui viennent de partout sur la planète et partagent notre intimité.
Après tout, la France a connu 1789 et mai 68, je me demande si malgré tout ce que je conteste dans mon pays, il n’en reste pas quelque chose. Même si les comportements en France sont  souvent très conventionnels. Dans mon pays j’ai l’habitude de ces contradictions. Au Kérala, j’ai manqué de repères.
In this context, the weight of the hierarchy has become unpleasant: we traveled several days with the same driver, a man full of kindness, taking so much care of us. But he did not have the same rights as us, for example, he never came into our accommodation. And I, “I am so fervent after freedom, if someone forbade me to go to any place of India I feel uncomfortable.” Montaigne “Don’t worry” Sumesh, the driver, told me, when I realized that most often he sleeps in the car. I was not worried, I was very angry.
Those who want may come into my home! Receiving helpers as we do, we host people from all over the world and they share our privacy.
After all, France experienced 1789 and May 68: doesn’t something remain? – I wonder this, in spite of all that I dispute in my country. Although behaviors in France are often very conventional. In my country I’m used to these contradictions. In Kerala, I missed landmarks.

Riz - Rice

Je ne voudrais pas continuer sans remercier “KST Tours” qui nous a aidés à organiser la plus grande partie de notre séjour au Kérala. Christian et Michel sont français, mais très respectueux de la culture du pays qu’ils aiment et aident à connaître.
Bien entendu, ils ne sont pas responsables de ce poids de la hiérarchie dans la société kéralaise !
I would not go on without thanking « KST Tours » who helped organize most of our stay in Kerala. Christian and Michel are French, but very respectful of the culture of the country they love and help us to know.
Of course, they are not accountable for the weight of the hierarchy in the Kerala society!

La première perte de repère, c’est sans doute le premier trajet en voiture. “Poussez-vous, j’y vais !”, ou plutôt “Tuuuut !!! Poussez-vous j’y vais !” Ça commence comme ça, chacun force le passage. Les plus gros passent les premiers (Mention spéciale pour les bus, réputés provoquer de nombreux accidents souvent mortels. Ils klaxonnent pour qu’on les laisse passer, et on les laisse passer).
Tout conducteur se faufile même quand il vient des véhicules de toutes les directions. Alors le plus souvent on se retrouve à cheval sur la ligne continue en face d’une autre voiture, et chacun calcule s’il doit accélérer, ou freiner pour abandonner le dépassement.
Il paraît que notre permis de conduire n’est pas reconnu au Kérala, et j’aime autant ça. Je n’ai jamais eu peur en voiture ni en auto-rickshaw, moi qui me mets vite à trembler en France. Les conducteurs indiens sont fantastiques.
The first loss of landmarks was probably the first time when we went into a car. “Push yourself I go!”, or rather “Tuuuut !!! Push yourself I go!” It starts like this, each forcing the passage. The biggest goes first (Special mention for buses, often causing fatal accidents. They honk for other to let them go, and other let them go).
Any driver slips through traffic even when vehicles are coming from all directions. So often we are in the middle of the street in front of another car, and each one calculates whether to speed up or slow down to drop the overtaking.
It seems that our license is not recognized in Kerala, and I like it. I’ve never been scared, being in a car or an auto-rickshaw, yet I quickly start to tremble in France. Indian drivers are fantastic.

Plus d’un mois après ce voyage, il me reste dès que je pense au Kérala une impression de foisonnement, de foule, d’agitation. D’abondance – mais où va toute cette nourriture exposée en quantité sur des marchés très pittoresques, quand elle est trop fanée pour être vendue ?
Je pense à cet homme à qui nous avons acheté quelques vêtements : il nous a dit que nous étions ses premiers clients de la journée, il était quinze heures. Toute la rue proposait des boutiques avec abondance de marchandises, et les boutiques dans l’ensemble étaient désertes.
More than a month after that trip, when I think of Kerala I remember first abundance, crowd unrest. Abundance – but what do they do with all this food in quantity exposed on very picturesque markets, when it is too faded to be sold?
I think of the man to whom we bought some clothes: he told us that we were the first customers of the day, it was three pm. In the street there were shops with plenty of goods, and the shops were empty.

Nous étions vraiment sur une autre planète. Un autre climat, une autre végétation, une autre culture, des attitudes différentes. Voir grimper le poivrier sur un autre arbre, découvrir la graine de cardamome cachée sous la plante, manger le fruit du caféier, voir passer au bord de la route un éléphant et son cornac, découvrir d’innombrables petits métiers qui n’ont jamais existé chez nous, ou qui ont disparu… Je me suis sentie acceptée mais aussi étrangère, irrémédiablement. Et j’ai souvent pensé non pas aux touristes, mais aux migrants de tous les pays et de toutes les époques, qui mettent le pied sur une terre dont ils ignorent tout, et d’abord la langue : comme c’est difficile de s’expatrier !
Le Kérala m’a rappelé que j’ai la chance d’avoir des racines.
We were really on another planet. Another climate, another vegetation, another culture, different attitudes. We saw pepper climbing on another tree, we discovered cardamom seed hidden under the plant, we ate the fruit of the coffee tree, we saw an elephant and its driver walking on the roadside, we discovered countless small trades that never existed in our country, or that have disappeared … I felt accepted but also foreign, hopelessly. And I have often thought not of tourists, but of migrants from all countries and all ages, who arrive on a land about which they know nothing, and, first the language: how difficult it is to emigrate!
Kerala reminded me that I’m lucky to have roots.


Je n’aime pas beaucoup être une touriste, et je ne veux pas être une intruse.
C’est la raison pour laquelle, au Kérala, j’ai toujours couvert mes épaules et mes jambes malgré la chaleur, une chose que je ne supporte pas chez moi. Je n’oublierai jamais l’éclat de rire d’une Indienne en voyant une femme qu’elle trouvait grotesque, rire pas du tout méchant, mais je n’aurais pas souhaité que l’on rit de moi de cette façon.
Je veux être à égalité avec mes semblables.  Chez moi, je fais comme il me plaît ; chez les autres je fais des concessions. Les vêtements que je porte, c’est comme une façon de m’excuser : “je viens chez vous, et je fais ce que je peux pour ne pas trop déranger.”
Mais c’est impossible.
I do not like a lot being a tourist, and I do not want to be an intruder.
That is why, in Kerala, I always covered my shoulders and my legs despite the heat, one thing that I cant’t bear in my home. I will never forget the laughter of an Indian woman when she saw a woman who looked grotesque fort her, laugh not bad at all, but I would not wish that one laughs at me that way.
I want to be equal with my peers. At home I do as I like; among others I make concessions. The clothing that I wear is as a way to apologize: “I come to you, and I do what I can not to disturb.”
But this is impossible.

Au Kérala, les gens ont toujours été de la plus grande gentillesse avec nous. Cela est confortable et dérangeant : on nous respectait, on nous écoutait, on nous manifestait de l’intérêt. Mais les prévenances sont excessives, au respect s’ajoute la hiérarchie. Je peux porter ma valise et pousser une voiture en panne, pourquoi pas ? Et j’ai bien senti que je n’étais pas à ma place si je faisais cela.
In Kerala, people have always been of the utmost kindness with us. It is comfortable and disturbing: they respected us, they listened to us, they showed us interest. But there was too much consideration, I felt the hierarchy. I can carry my bag and push a broken down car, why not? And I did feel that I was not in my place if I did that.

Quand je suis en voyage, le plus souvent il me manque quelque chose : je me sens passive, consommatrice. Pour avoir un impact sur le lieu où je me trouve, je pense qu’il me faut travailler – je pense que l’expérience d’être “helper” chez les autres me conviendrait.
Je voudrais être valorisée pour ce que je sais faire, ne pas subir la déférence des autres sans rien faire pour la mériter.
When I’m traveling, most of the time I miss something, I feel as a passive consumer. I think I need to work to have an impact on where I am – I think the experience of being “helper” in other places can be good for me.
I want to be valued for what I can do, I don’t want to obtain the deference of others without doing anything to earn it.

 

Il m’a fallu très longtemps pour rédiger ces lignes. J’espère qu’elles ne sont pas ambigües. J’espère que j’ai su traduire mon respect et mon amour pour tous ces gens que nous avons croisés, et pour ce magnifique pays.
It has been long for me to write this. I hope this text is not ambiguous. I hope I have been able to translate my respect and love for all the people we met, and for this splendid country.

2 réflexions sur « Kérala »

  1. Merci pour ce très beau témoignage.Je partage totalement vos préoccupations. En vous lisant je retrouve bien des ambiances vécues ailleurs, et ces questions sur notre place, notre statut … et les limites de notre empathie réciproque !
    Un grand merci pour ce partage.

  2. Je ne connais pas le Kerala ni l’Inde, mais ce que vous y avez ressenti me rappelle toutes les sensations que j’ai éprouvée l’an dernier au Togo, où je suis allée pour marier une de mes filles. J’ai depuis un fils de plus, charmant, intelligent, beau et courageux. Autre continent, mais climat sans doute équivalent (j’ai ressenti la même chose que vous sur les journées toutes pareilles…) Ne pas être là pour ne rien faire, aider, mais comment ? Accepter la gentillesse et les attentions des gens, et reconnaître dans le même qu’en France nous sommes gâtés, malgré… Tout ce qui ne va pas. Un autre monde, un chaos et une grande pauvreté mélangés à une forme de joie de vivre que nous ne connaissons pas. Je me retrouve aussi dans le respect envers les coutumes des autres dans votre ressenti sur la position du « voyageur ». Bref, c’est un drôle de beau billet. Merci.

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