Comme à la samaritaine*

*« On trouve tout à la Samaritaine » est un célèbre slogan publicitaire.
*« You can find everything at La Samaritaine » is a famous advertising slogan.

Ce n’est pas un artichaut
It’s not an artichoke

Avant l’invention de la radio, les nouvelles circulaient autrement : les chanteurs de rue étaient nombreux à raconter par leurs chansons ce que relataient « le p’tit Parisien » ou autres organes de presse dans leurs colonnes. La radio a fait disparaître cette forme de chanson, et je ne sais pas s’il faut le déplorer (est-ce que c’était mieux avant ?).
Before the invention of the radio, the news circulated differently: many street singers told through their songs what « le p’tit Parisien » or other press organs reported in their columns. The radio has made this form of song disappear, and I don’t know if it’s to be regretted (was it better before?).

Quand je suis née, la radio s’était déjà généralisée et la télé allait suivre : je ne peux pas regretter quelque chose que je n’ai pas connu tout en ayant conscience de l’uniformisation d’une certaine culture. La radio est « une évidence » comme le confort des habitations : il ne me viendrait pas à l’idée que dans mon pays, un logement ne soit pas muni d’eau et d’électricité, par exemple, ce qui prouve bien mon ignorance d’une certaine réalité.
When I was born, radio had already become widespread and TV would follow: I can’t regret something that I didn’t know, while being aware of the standardization of a certain culture. The radio is « obvious » like the comfort of the dwellings: it would not occur to me that in my country, a dwelling is not equipped with water and electricity, for example, which proves my ignorance of a certain reality.

Je pourrais aussi bien répéter l’histoire des chaussettes que je vous ai racontée à la fin de l’année 2019. Ces évidences qui n’en sont pas. De nos jours, il est évident pour des milliards de gens de se déplacer en voiture. La gomme des pneus se dépose sur la route, ainsi que les particules de toutes les pièces qui s’usent, que vous devez remplacer, les freins, tout ça… et les gaz d’échappement se répandent. Il me paraît absolument illusoire de vouloir fabriquer des véhicules non polluants. Sommes-nous conscients du fait qu’en réalité, rien de tout cela n’est évident ?
I might as well repeat the story of the socks that I told you at the end of 2019. These obvious things that are not. Nowadays, it is obvious for billions of people to travel by car. The rubber from the tires gets deposited on the road, along with the particles from all the parts that wear out, that you need to replace, the brakes, all that… and the exhaust fumes spill out. It seems to me absolutely illusory to want to manufacture non-polluting vehicles. Are we aware that in reality none of this is obvious ?

que des salades ! — only salads!

Je peux répéter mon propos en remplaçant « évident » par « naturel » : nous trouvons naturel que l’eau coule quand nous ouvrons le robinet, nous trouvons naturels tous ces artefacts qui font partie de notre existence, qui nous procurent un confort même modeste. Peut-être trouvons-nous aussi naturel de mener un mode de vie qui ne nous convient pas, trop de hâte, de rendement obligatoire, de comptes à rendre… car il faut bien vivre.
I can repeat my point by replacing « obvious » with « natural »: we find it natural that water flows when we turn on the tap, we find natural all those artifacts that are part of our existence, that provide us with even modest comforts. Perhaps we also find it natural to lead a way of life that does not suit us, too much haste, mandatory performance, accountability… because we have to be able to live.

figuier — fig tree

Je veux dire qu’il n’y a rien de naturel, rien d’évident dans nos modes de vie : ils sont le fruit des recherches de toutes les générations qui nous ont précédés et il n’est ni naturel ni évident de continuer comme ça. Par la force des choses des objets technologiques disparaîtront, devenus trop coûteux, ou sans intérêt. Des espèces végétales et animales disparaîtront, par la force des choses non contrôlées, des pollutions variées, par la disparition d’autres espèces dont elles se nourrissaient.
I mean that there is nothing natural, nothing obvious in our ways of life: they are the fruit of the research of all the generations that have preceded us and it is neither natural nor obvious to continue as that. By force of circumstances, technological objects will disappear, become too expensive, or without interest. Plant and animal species will disappear, by the force of uncontrolled circumstances, various pollutions, by the disappearance of other species on which they fed.

Où cela nous conduit-il ? Je suis en permanence dans le questionnement mais je n’ai jamais de réponse. Dans le grand parc derrière la maison, nous espérons favoriser le maintien ou même, soyons fous, le retour de quelques espèces. Une certaine biodiversité est à l’œuvre en effet. Mais que sont huit mille mètres carrés enclavés comme ils le sont au milieu des champs de maïs ? Le colibri a beau se démener, quand l’agriculteur voisin traite, nous nous réfugions à l’intérieur pour ne pas inhaler de poison. Nous ne savons pas quoi faire d’autre.
Where does this lead us? I am constantly in the questioning but I never have an answer. In the large garden behind the house, we hope to promote the maintenance or even, let’s be crazy, the return of some species. A certain biodiversity is indeed at work. But what are eight thousand square meters landlocked as they are in the middle of cornfields? The hummingbird can try as much as it would like, when the neighboring farmer treats, we take refuge inside so as not to inhale poison. We don’t know what else to do.

Je ne mélange pas tout et n’importe quoi : il y a une évolution ultra-rapide et qui s’accélère, dans les milieux aussi bien technologique que naturel. Il y a un lien entre la disparition des chanteurs de rue en tant que dispensateurs de l’info et celle des sauterelles dont les bonds faisaient crépiter l’herbe autour de mes pas dans notre parc. Les merles y sont nombreux, leur présence est la preuve qu’ils trouvent de quoi se nourrir, mais cette présence est-elle un indice de bonne santé générale de notre coin de paradis ? De bonne santé jusqu’où ? Plus loin que le bout de leur bec ? Je n’ai pas les connaissances pour juger de la qualité biologique du terrain… J’ai supprimé la première renouée du Japon qui a pointé son joli nez chez nous, parce que je la connais. Que nous apprennent les espèces animales ou végétales qui s’installent chez nous, ou qui disparaissent ?
I don’t mix everything and anything: there is an ultra-fast and accelerating evolution, in both technological and natural environments. There is a link between the disappearance of the street singers as the dispensers of information and that of the grasshoppers whose leaps made the grass crackle around my steps in our garden. The blackbirds are numerous there, their presence is proof that they find food, but is this presence an indication of the general good health of our corner of paradise? How healthy? Beyond the tip of their beak? I don’t have the knowledge to judge the biological quality of the land… I removed the first Japanese knotweed that showed its pretty nose here, because I know it. What do we learn from the animal or plant species that settle in our home, or disappear?

Je dois me contenter de mes observations, de mes découvertes, le plus souvent à l’origine de nouvelles questions. Je les partage avec vous : elles me permettent pour l’essentiel de mesurer mon ignorance, et la difficulté à réussir des photos dans des conditions que je ne maîtrise pas !
I have to content myself with my observations, my discoveries, most often at the origin of new questions. I share them with you: they essentially allow me to measure my ignorance, and the difficulty of taking photos in conditions that I do not control!

L’autre matin, je trouve une bestiole, comme un petit ver tout noir dans la baignoire. Pour éviter le massacre inutile, je réussis à le glisser dans une petite boîte en carton. Alors, à ma grande surprise, je le vois émettre un bref éclair de lumière verte : un ver luisant ? Mais oui ! Ils sont de plus en plus rares. Je me demande comment il est arrivé au premier étage, je vais le déposer avec précaution au pied d’un arbre.
The other morning, I find a bug, like a little black worm in the bathtub. To avoid unnecessary slaughter, I managed to slip it into a small cardboard box. Then, to my surprise, I see it emit a brief flash of green light: a glow worm? But yes ! They are increasingly rare. I wonder how it got to the first floor, I place him carefully at the foot of a tree.

En tirant le rideau, j’entends se déchirer des fils de soie, l’araignée est cachée dans le pli. Désemparée par mon intrusion, elle cherche à protéger sa progéniture cachée dans un cocon, qu’elle aura vite réparé, et dans lequel elle se dissimule elle aussi : je ne tire plus sur le rideau, la voilà tranquille.
As I draw the curtain, I hear silk threads tearing, the spider is hidden in the fold. Distraught by my intrusion, she seeks to protect her offspring hidden in a cocoon, which she will have quickly repaired, and in which she hides herself too: I no longer pull on the curtain, she is quiet.

Le cocon d’une autre araignée est installée entre des feuilles du rosier. Je tire sur la feuille en évitant de la déchirer.
The cocoon of another spider is installed between the leaves of the rosebush. I pull on the leaf, avoiding tearing it.

Enfin, on commence à la voir (notez la tâche jaune floue en haut).
Finally, we begin to see it (note the blurry yellow spot at the top).

Voici la photo la moins ratée, à gauche mon pouce vous donne l’échelle, le monstre est à peine de la taille de mon ongle.
Here is the least missed photo, on the left my thumb gives you the scale, the monster is barely the size of my fingernail.

J’ai laissé d’autres monstres se goinfrer de rosiers pendant deux ou trois jours, puis je les ai récoltés et abandonnés un peu plus loin dans l’herbe : bon appétit les oiseaux !
I let other monsters gobble up rose bushes for a couple of days, then I harvested them and left them a bit further out in the grass: bon appetit birds!

Le même jour, une coccinelle (la tâche jaune floue) aux couleurs non officielles (une marginale ?) officiait sur le rosier, le même, celui qui héberge chenilles, araignée et autres machins inconnus. Je crains qu’elle ne m’ait fait un bras d’honneur !
The same day, a ladybug (the fuzzy yellow spot) with unofficial colors (a marginal?) officiated on the rosebush, the same one, the one that hosts caterpillars, spiders and other unknown things. I’m afraid she gave me the two-fingered gesture !

Toujours sur le même rosier-ménagerie, voici un individu au gros ventre rond et aux ailes diaphanes : il s’agit certainement d’un ange, même si je ne les imaginais pas comme ça.
Still on the same menagerie-rosebush, here is an individual with a big round belly and diaphanous wings: it is certainly an angel, even if I didn’t imagine them like that.

Nous avions un joli marronnier depuis un an ou deux, le voici sur le flanc, et voici pourquoi : j’identifie cette fois une attaque massive des castors-bonsaïs.
We’ve had a nice chestnut tree for a year or two, here it’s dead, and here’s why: this time I identify a massive beaver-bonsai attack.

Mais nos observations de la vie sauvage ne sont rien à côté du travail que peut faire une équipe de scientifiques plus compétente que moi ! Quant aux écrivains à la recherche d’idées originales, pourquoi se creusent-ils tant la tête ? La nature est d’une imagination inconcevable.
But our observations of wildlife are nothing compared to the work that a team of scientists more competent than me can do! As for writers looking for original ideas, why do they rack their brains so hard? Nature is of an inconceivable imagination.

Je vous invite vivement à regarder « Le petit peuple du potager », proposé pour encore un moment par Arte (mieux vaut être francophone, mais les images sont explicites — Ceux d’entre vous qui sont loin peuvent-ils y avoir accès ?). J’ai trouvé tout à fait horrible la guêpe qui pond dans le corps d’une chenille où écloront ses larves, dont la chenille prendra soin car son cerveau a été détruit !
I urge you to watch « Le petit peuple du potager », offered for a while by Arte (better to be French-speaking, but the images are self-explanatory — Can those of you who are far away have access to it?). Almost unbearable: the wasp that lays eggs in the body of a caterpillar where its larvae will hatch, which the caterpillar will take care of because its brain has been destroyed!

Nous avons beau être de plus en plus informés, nos capacités d’intervention nous semblent de plus en plus réduites. Je pense à cela pendant que tomates, courgettes et pommes de terre fleurissent.
We may be more and more informed, but our intervention capacities seem to us to be more and more reduced. I think of that while tomatoes, zucchini and potatoes are blooming.

Et je vois dans les tiges dressées du cardère vigoureux comme l’élan de la nature triomphante.
And I see in the erect stems of the vigorous teasel like the momentum of triumphant nature.

2 réflexions sur « Comme à la samaritaine* »

  1. Je suis particulièrement touché par ta rencontre avec le ver luisant. J’ai souvenir d’en voir tant à l’époque de mon adolescence, qui, à l’échelle géologique, est bien proche. Je suis soufflé et attristé de la vitesse de leur disparition.

    Une nouvelle fois, merci pour la poésie de ta chronique.

    • Merci à toi.
      Tu as bien capté mes sentiments en demi-teinte, inquiétude et espoir mêlés. Les êtres humains se sont toujours inquiétés de l’avenir, mais notre époque semble tellement particulière qu’il est plus que jamais nécessaire de se faire du souci !

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